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Comment le Street Art enlumine le Grand Paris

En matière de Street Art, la banlieue parisienne n’a rien à envier à la capitale et contribue grandement, à travers ce domaine artistique, au rayonnement mondial du Grand Paris. Entre les fresques monumentales qui colorent ses communes, à faire pâlir de jalousie le 13e arrondissement connu pour ses peintures murales géantes, et les nouveaux lieux de création qu’elle abrite, comment la métropole s’affirme-t-elle déjà comme un épicentre des arts urbains ?

Par Anthony Vincent

Œuvre de Tcheko, Lek et Sowat, le long du canal Saint-Denis.


Le graffiti est l’un des rares outils dont vous disposez si vous n’avez presque rien », a déclaré Banksy. Aussi célèbre que mystérieux, le plus connu des street artistes garde son identité secrète pour taguer ses œuvres douces-amères sur l’état de nos sociétés à travers le monde. Y compris à Paris, qui lui consacre même une exposition permanente, au 44 rue du Faubourg-Montmartre, dans le 9e arrondissement. Mais cet amour entre le street art et Paris s’étale bien au-delà de la Capitale, et ce, depuis au moins les années 1980, selon Nicolas Laugero-Lasserre, co-auteur du Que Sais-Je sur L’Art urbain : « On parle de graffiti pour désigner ce qui tient plutôt du lettrage (les graffeurs veulent souvent imposer leur “blaze”, c’est-à-dire leur nom, comme pour marquer leur territoire) et de street art pour ce qui est plus figuratif. Ces deux mouvements apparaissent assez conjointement en France à la fin des années 1970, inspirés de New York, et s’influencent mutuellement. Parmi les street artistes français pionniers, comptent notamment Jérôme Mesnager, Jef Aérosol, Speedy Graphito ou encore Miss.Tic. Généralement, ils ont déjà une activité en atelier, mais s’emparent des murs pour diffuser plus largement leur art et leurs messages, souvent politiques. »


Elian Chali, « Conversation avec d’autres mondes ».


Plutôt qu’une esthétique unique, un art de l’accessibilité


Collectionneur de street art de la première heure et directeur de l’école d’ingénierie culturelle ICART, Nicolas Laugero-Lasserre tient à définir le street art non par une esthétique, une technique ou un médium unique (puisqu’il peut s’agir aussi bien de collage, de peinture, de pochoir, de muralisme, etc.), mais bien par son accessibilité : «Créer dans la rue, c’est vouloir œuvrer pour tout le monde, faire de la ville une galerie à ciel ouvert. » Les villes du Grand Paris l’ont bien compris, puisqu’elles investissent de plus en plus dans des fresques murales parfois monumentales afin d’embellir leurs quartiers, comme le souligne Nicolas Laugero-Lasserre : « Si le graffiti continue d’être réprimandé, le street art connaît un engouement de la part du grand public, du marché de l’art, mais aussi des collectivités qui commandent des œuvres comme un moyen pour valoriser leur territoire. Créer du beau et l’admirer ensemble peut favoriser les liens entre les gens. Embellir les murs, c’est susciter du mieux vivre, un sentiment d’appartenance et de cohésion. » Ainsi, pour entretenir cette topophilie (l’amour des lieux), les banlieues parisiennes font de plus en plus appel à des street artistes locaux, ce qui participe à leur institutionnalisation. On pourrait même parler de marketing territorial, puisque cette valorisation par le street art peut faire monter le marché immobilier local. Du côté d’Évry, dont Nicolas Laugero-Lasserre a d’ailleurs été directeur artistique pendant deux ans rue Père-André-Jarlan, se dresse une fresque de 46 mètres de long et 8 mètres de haut, signée Lek & Sowat (premiers artistes urbains à être entrés au Centre Pompidou) et intitulée ÉvryDay I’m Hustlin. Un peu plus loin, on peut aussi apercevoir The Spaghettist de Legz ou Laurita de Belin. C’est même tout le Grand Paris sud qui se colore, notam- ment via le festival de Wall Street Art, qui invite depuis 2015 à contempler les œuvres de street ar- tistes dans les villes de Bondoufle, Corbeil-Essonnes, Grigny ou encore Réau. Du côté de Vitry, à la sortie du RER, c’est le Robot de l’artiste Pixel Pancho que l’on découvre, tandis qu’à côté du MAC VAL, Kouka signe un hommage à Nelson Mandela.


De gauche à droite : Hera of Herakut, « Enfant hérisson » ; Kashink, « Love always wins ».


Le street art, une scène en voie d’institutionnalisation ?


Alors que ce courant artistique date d’à peine 50- 70 ans en fonction des pays, avec beaucoup de talents autodidactes, la France et surtout le Grand Paris s’imposent déjà comme un acteur incontournable de cette scène désormais à son apogée. Les galeries spé- cialisées s’y multiplient comme Mathgoth (ouverte en 2010) et Fluctuart (en 2019) ; elles seraient une cinquantaine dans l’agglomération aujourd’hui. Les expositions à succès s’enchaînent aussi, à l’instar de Capitale(s), 60 ans d’art urbain à l’Hôtel de Ville de Paris, qui a attiré 280 000 visiteurs en 8 mois en 2022, et maintenant We Are Here au Petit Palais jusqu’au 17 novembre 2024. Le Centre Pompidou vient même de lancer officiellement sa collection d’art urbain en février 2024, en commençant par des œuvres de Gérard Zlotykamien, de Miss.Tic et du duo Lek & Sowat. Autre signe d’institutionnalisation :la pionnière du street art Tania Mouraud a rejoint l’Académie des Beaux-Arts en mars 2024.Cela s’agite aussi du côté privé. Pour preuve, le constructeur automobile Renault a annoncé en juin 2024 constituer une collection de street art, relais parfait de son engagement « en faveur d’un lien culturel à la fois populaire et novateur », précise le groupe. « La France compte probablement parmi les marchés d’art urbain les plus prolifiques au monde. On a une vingtaine de ventes aux enchères par an, dont certaines qui battent des records », s’enthousiasme Nicolas Laugero-Lasserre, également vice-président de Fluctuart et du Quai de la Photo.

Œuvre d’Acidum Project, le long du canal Saint-Denis.


La ruée vers le street art du Grand Paris


Pour accompagner cet essor, de plus en plus d’intermédiaires se développent afin d’aider au mieux les artistes. C’est le cas de l’agence d’ingénierie culturelle éthique Terrart, où travaille la Chilo-brésilienne Agathae Montecinos. Elle-même fille d’une artiste urbaine qu’elle a aidée dans ses travaux, elle a d’abord pratiqué le graffiti puis ouvert une galerie au Brésil avant de s’installer à Paris en 2013. Après un premier mémoire sur l’institutionnalisation de l’art urbain, elle en a signé un autre sur sa dimension émancipatrice. C’est ce qui lui permet d’analyser avec finesse l’évolution de ce mouvement devenu marché institutionnalisé : « Dès 2014, j’ai travaillé sur la première exposition du ministère de la Culture dédiée aux arts urbains, Oxymores, qu’on peut considérer comme le point zéro de l’institutionnalisation de ce domaine en France. Depuis, le secteur s’est grandement professionnalisé, on compte plus de 300 associations et une trentaine d’agences, avec une forte concentration en Île-de- France. »

Quand elle compare l’état du marché des arts urbains entre Sao Polo et le Grand Paris, deux capitales culturelles fortes, la directrice artistique et de production de Terrart constate une différence notable autour des arts urbains : « On a une culture de l’investissement dans l’art qui est beaucoup plus présente en France qu’au Brésil. En revanche, il est beaucoup plus simple de s’emparer de l’espace public au Brésil qu’en France. Ici, on va peut-être trouver plus facile- ment des financements publics ou privés pour réaliser un projet, mais il y a beaucoup d’administratif bureaucratique qui peut freiner les artistes. » Malgré la relative phobie administrative de certains artistes, le Grand Paris devient quand même une magnifique galerie participative à ciel ouvert, les territoires y trouvant un moyen de démocratiser l’art de manière visible, durable et... peu cher. « Les soutiens à l’art urbain grandissent, mais restent bien inférieurs aux sommes investies dans le spectacle vivant et d’autres formes d’art contemporain, pour le moment », constate Agathae Montecinos, qui œuvre justement à équilibrer les choses.


De gauche à droite : Paola Delfin & Collectif Art, «Mère et filles» ; Kashink,«You’re a winner baby !».


L’histoire du Grand Paris s’écrit depuis longtemps en street art et graffitis


L’essor du street art permet aussi de valoriser un pan de la culture des quartiers populaires souvent invisibilisés ou discriminés. En témoigne particulièrement la Street Art Avenue, un parcours d’art urbain de 5 kilomètres reliant Saint-Denis à Paris La Villette, en passant par Aubervilliers. De quoi incarner de façon visible, matérielle et palpable ce lien entre la Capitale et sa banlieue, et inviter à la contemplation de la trentaine d’œuvres qui rythment cette promenade. Guate Mao, les Sœurs Chevalme, Amoor, Skio, Jeniale, Dawal, Seth, Zest, Telmo Miel, Tarek Benaoum, Polar ou encore Marko93 ont chacun apporté leur patte au fil de l’eau du canal Saint-Denis.« Il y a aussi énormément de murs d’expression libre sur cette avenue, donc elle est sans cesse enrichie par la vie du territoire lui-même. Des artistes de toute la France et même au-delà viennent s’y exprimer, mais aussi beaucoup de locaux », se réjouit Agathae Montecinos, qui s’occupe depuis 2023 de la Street Art Avenue, via Terrart. Ce canal a même servi de lieu de passa- ge central dans le cadre des Jeux olympiques et pa- ralympiques de 2024, puisqu’il a permis de relier les équipements olympiques parisiens à ceux de Plaine Commune. C’était donc un projet emblématique de l’Olympiade Culturelle. En parlant des JO, Visa, qui en était l’un des plus grands sponsors, a d’ailleurs choisi le street art pour communiquer durant ce temps fort, en demandant à des street artistes de repeindre des aéroports et des gares du Grand Paris.Tandis que les rues et les ateliers intra-muros sont déjà plus que saturés, l’ancienne garde et la jeune création du street art trouvent depuis longtemps leur effervescence en banlieue. Par exemple, à travers la friche industrielle devenue pépinière de talents qu’est Le 6b depuis 2010 à Saint-Denis, avec ses 200 rési- dents artistiques. De son côté, après ses débuts en 2020 dans une tour de bureaux à Clichy, l’incuba- teur Poush s’est installé en 2022 à Aubervilliers dans une ancienne usine de parfumerie pour donner plus de place à ses 200 artistes. Inauguré en juin 2024, le Garage B, ancien garage situé dans le parc de la Bergère du côté de Bobigny, a, quant à lui, tout pour devenir un haut lieu du street art, fort des réalisations in situ d’Olivia de Bona, de Marko93, Sifat, Vinie ou encore Lady K.

Bref, en tant qu’art populaire, le street art a naturellement su trouver sa force dans la banlieue parisienne et continue de s’y épanouir, avec toujours plus de soutien des collectivités, tout en influençant la Capitale. L’histoire du Grand Paris s’écrit donc aussi, et depuis longtemps, à coups de muralismes, pochoirs, mosaïques et graffitis.

Insane 51, « Olympic spirit ».


8 HAUTS LIEUX DES ARTS URBAINS DU GRAND PARIS

La Street Art Avenue, 93200 Saint-Denis.

Garage B, parc départemental de la Bergère, 93000 Bobigny.

Le 6b, 6-10 Quai de Seine, 93200 Saint-Denis.

Le Poush, 153 avenue Jean-Jaurès, 93300 Aubervilliers.

Les Puces de Saint-Ouen, 110 rue des Rosiers, 93400 Saint-Ouen-sur-Seine.

La Legend Boutique, tenue parle street artiste Rebus Fdk, 2 rue Jean-Jaurès, 93200 Saint-Denis.

Fluctuart - Centre d’art urbain,2 Port-du-Gros-Caillou, 75007 Paris.

Galerie Mathgoth, 34 rue Hélène-Brion, 75013 Paris.

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