Entre l’idée initiale du Grand Paris et sa mise en œuvre territoriale, outre la concrétisation du nouveau métro, les maires franciliens peinent à s’insérer dans une organisation faite de nombreuses injonctions, parfois sans cohérence les unes avec les autres. Ils aspirent à un modèle moins prescriptif et en phase avec les réalités de leur territoire.
Par Fabienne Proux avec Catherine Bernard, Emmanuelle Chaudieu et Elena Jeudy-Ballini.
L’idée de départ du Grand Paris était de donner une vision d’avenir », rappelle Geoffroy Boulard, maire (LR) du 17e arrondissement, « et de créer un dépassement de la ville cœur pour qu’elle travaille avec ses partenaires de première couronne. » Alors que le nouveau métro est la traduction concrète du Grand Paris, la construction institutionnelle a-t-elle contribué à donner cette vision ? Pas vraiment, si on en juge par le regard de ceux qui vivent au quotidien ce Grand Paris. Créée en 2016, la Métropole du Grand Paris (MGP) est « issue d’une loi critiquée et critiquable, car elle ne permet pas à l’intercommunalité d’être identifiée par les habitants dans la mesure où elle a peu de compétences propres »,poursuit Geoffroy Boulard. Bien qu’elle ait atteint l’âge de raison, « la Métropole du Grand Paris est jeune, issue d’une compromission d’une nuit entre députés LR, PS, Modem et UDI allant à l’encontre du projet adopté par 94 % des maires de l’instance de préfiguration. C’est encore un objet politico-administratif non identifié », renchérit Patrice Leclerc, maire (PCF) de Gennevilliers (Hauts-de-Seine).
De nombreux élus locaux franciliens subissent en effet cette intercommunalité qu’ils n’ont pas choisie.
Dès lors, « il a fallu du jour au lendemain nous adapter à ces nouvelles entités avec les transferts de compétences », souligne Hervé Gicquel, maire (LR) de Charenton-le-Pont (Val-de-Marne). Mais « aucun élu n’a envie de transférer davantage de compétences à l’EPT (établissement public territorial) que le minimum exigé », prévient de son côté Zartoshte Bakhtiari, maire (SE) de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), regrettant un découpage incohérent : « Avant la création de la métropole et des territoires, le lien entre les villes était cohérent avec la réalité géographique. Faisant partie du même EPT, Neuilly-sur-Marne n’a pour autant rien à voir avec Clichy-sous-Bois. »
Des avantages et des dysfonctionnements
Jean-Christophe Fromantin porte aussi un jugement sévère sur cette structure qui est, selon le maire (DVD) de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), « stérile en termes d’efficacité, n’a pas de vision stratégique et a provoqué une forme de chacun pour soi ». Sans parler des contingences financières qui contraignent à « raisonner sur l’année qui vient, car on n’a de visibilité ni sur le temps long ni sur la stratégie de l’État en matière d’aménagement du territoire », déplore-t-il. Pour autant, certains maires, à l’instar d’Imène Souid et de Mohamed Gnabaly apprécient le fait métropolitain. « Sans la Métropole, le projet d’aménagement de la zone logistique Senia n’aurait sans doute pas vu le jour », admet la maire (DVG) d’Orly (Val-de-Marne). « Et il est clair que l’échelle métropolitaine est importante pour certains dossiers. » Parmi ceux-ci, le maire (SE) de l’Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) cite les transports, la santé publique, le climat et le lien entre bassins de vie et bassins d’emploi. « La MGP est en train de se structurer autour de ces enjeux-là, c’est-à-dire la création de murs anti-crues et comment mieux considérer les bassins de vie, et les lier aux bassins d’emploi », fait valoir Mohamed Gnabaly. Zartoshte Bakhtiari reconnaît aussi l’intérêt de l’échelon métropolitain, car il permet de « dézoomer les cartes et d’avoir une politique d’ensemble ». Le plan vélo métropolitain par exemple est « une bonne échelle, au niveau départemental, cela ne serait pas suffisant, ni cohérent », argue le maire de Neuilly-sur-Marne, tout comme d’ailleurs la compétence Gemapi (Gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations).
Pour autant, ces élus pointent des dysfonctionnements. « Ce qui est compliqué, ajoute en effet Mohamed Gnabaly, c’est que l’organisation n’est pas aboutie, cela génère du pouvoir d’agir au niveau local et crée des zones de friction à l’échelle régionale et métropolitaine. » « On finit par se perdre dans la superposition de tous les échelons territoriaux, affirme également Imène Souid, et pour une commune, cela signifie, pour chaque projet, d’aller frapper à la porte de tous, chaque échelle ayant ses attendus différents. » Une organisation territoriale qui « complexifie le travail des élus », confirme Hervé Gicquel.
Ce fameux millefeuille territorial agace d’ailleurs plus d’un maire grand-parisien qui appelle à une simplification, voire une réforme institutionnelle, sans pour autant la voir se profiler. « La multiplication des échelons ne fluidifie pas les choses », renchérit Pierre-Christophe Baguet. Si, aujourd’hui, l’État ne parvient pas à obtenir les 70 000 logements à construire par an comme le prévoit la loi sur le Grand Paris, c’est, selon le maire (LR) de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), aussi à cause de cette « désorganisation ».
« Le Grand Paris n’a jamais été autant d’actualité »
Le président de Grand Paris Seine Ouest fait partie de ceux qui sont favorables à ce que les compétences soient étendues au niveau de la région, « car elle a les moyens d’investir dans la transition énergétique, par exemple », précise Pierre-Christophe Baguet.Jean-François Vigier, lui aussi, souhaite que les frontières de la Métropole soient celles de la Région. « En petite ou en grande couronne, nous vivons tous sur le même territoire et développer un polycentrisme se fait à l’échelle de la Région et non de la Métropole », affirme le maire (UDI) de Bures-sur-Yvette (Essonne).
D’autres maires préconisent plutôt un élargissement des compétences de la MGP, tel Geoffroy Boulard qui pense au logement, mais aussi aux équipements sportifs et aux mobilités. « Un plan de circulation exclusivement parisien ne fonctionne pas parce qu’il a inévitablement des répercussions sur la petite couronne », constate le maire du 17e, considérant que « les compétences conférées exclusivement à la maire de Paris créent un fossé entre Paris et la première couronne ». En matière d’urbanisme aussi les tensions sont palpables et d’autant plus avec l’arrivée de trois nouveaux documents, à savoir le Sdrif-e (Schéma de développement régional de l’Île-de-France environnemental), le SCoT (Schéma de cohérence territoriale) de la Métropole du Grand Paris et le PLU (Plan local d’urbanisme) bioclimatique de Paris. « Ces documents présentent de belles intentions normatives et ce qu’ils contiennent est très à la mode, mais ils ne sont pas réalisables », prévient Jean-Christophe Fromantin. Et, surtout, « avec quels moyens les déployer ? », interroge le maire de Neuilly-sur-Seine, qui ne porte pas la critique sur les acteurs du Grand Paris, « mais sur celle de l’État qui nous laisse dans un flou artistique très dur en ne jouant pas son rôle d’État stratège sur la réponse territoriale aux enjeux qui sont devant nous : sociaux, économiques et environnementaux ».
Justement, le Grand Paris n’a, selon Geoffroy Boulard, « jamais été autant d’actualité pour régler les problèmes de logement, d’attractivité, de transport et les enjeux de transition écologique, de démographie avec le vieillissement de la population et d’exil urbain suite au développement du télétravail ». Car pour le maire du 17e arrondissement, « Paris, capitale dense mais petite, ne peut pas gérer seule ces questions ». Si la coopération intercommunale se présente comme « une force, car elle remet le maire au cœur de la décision », souligne Geoffroy Boulard, Patrice Leclerc aspire, quant à lui, à « une métropole de coordination, de prospective et de stratégie, pas à un acteur qui est un géant démographique, mais un nain budgétaire… »
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