L’année 2024 est synonyme de noces de porcelaine pour le groupe franco-néerlandais Air France-KLM. Voilà 20 ans que les deux compagnies aériennes volent ensemble et génèrent de la croissance en France et aux Pays-Bas. Depuis 2016, le groupe commande régulièrement une étude d’impact socio-économique à l’enseignant-chercheur Herbert Castéran, également directeur de l’Institut Mines-Télécom Business School (IMT-BS). Le chercheur revient ici sur les résultats de sa dernière étude qui s’intéresse à l’impact économique d’Air France-KLM sur l’année 2023, la première enquête depuis la crise Covid en 2020.
Propos recueillis par Stéphane Duguet.
Parmi les principaux résultats, Herbert Castéran explique qu’en France, l’activité du Groupe qui rassemble Air France, KLM et Transavia génère 1,9 % du PIB national et que 552 570 emplois dépendent directement et indirectement de son activité. L’impact du géant aérien est estimé à 48,9 milliards d’euros en France. Bien que toutes les régions profitent de l’activité d’Air France-KLM – même celles où le Groupe n’a pas de desserte –, l’Île-de- France en reste la première bénéficiaire.
Vous qui avez mené plusieurs études sur l’impact économique d’Air France-KLM en 2016, 2019et 2024, quelle différence observez-vous sur ces huit dernières années ?
L’impact d’Air France-KLM en Île-de-France est croissant en valeur absolue. Mais c’est aussi un impact croissant en termes relatifs. Si l’on prend en compte la part de l’entreprise au sein duPIB francilien, elle se situait en 2016 à 1,7 % alors qu’aujourd’hui elle atteint 3,2 %. Cela signifie que l’activité d’Air France-KLM a cru plus que proportionnellement dans le PIB de la région Île-de-France.3,2 % du PIB représente à peu près plus de 2 000 euros par Francilien de création de valeur annuelle. L’impact total du groupe Air France- KLM en 2023 est de 24,843 milliards d’euros.
Comment peut-on expliquer ce résultat ?
Il y a sans doute une part du résultat qui est associée à l’organisation du trafic d’Air France avec la politique de hub qui permet de structurer l’activité du groupe autour des plateformes de correspondances de Paris–Charles-de-Gaulle et d’Orly. Cette croissance de l’impact d’Air France se traduit par trois éléments : un accroissement de la part de la masse salariale qui est plus importante au niveau de l’Île-de-France, une hausse du trafic dans la région et aussi une augmentation des dépenses et des achats réalisés dans cette zone. Ces achats concernent aussi bien les fournitures industrielles que des biens et des services.
Si on s’intéresse à l’emploi en Île-de-France, que génère directement et indirectement Air France ?
En 2023, Air France a soutenu au total 237 000 emplois en Île-de-France, ce qui recouvre à la fois les emplois directs, avec les salariés d’Air France- KLM, mais aussi les emplois générés par les activités induites, associées à l’activité du Groupe. Le nombre d’emplois générés et le retour moyen sur investissement sont notables. En moyenne, lorsque le groupe Air France-KLM crée 1 emploi, 9 emplois sont engendrés localement. Cela veut dire qu’en Île-de-France, en moyenne, lorsqu’Air France-KLM investit 1 euro, 5,2 euros sont générés au niveau de l’économie francilienne.
Quels types d’emploi sont créés directementet indirectement par l’activité d’Air France ?
Une compagnie aérienne crée des emplois directs essentiellement sur sa base principale : des personnels navigants commerciaux et pilotes,des personnels d’escale et de piste, des fonctions administratives liées au siège de l’entreprise, des fonctions de maintenance des avions. C’est la raison pour laquelle la très large majorité des emplois d’Air France sont implantés en Île-de-France. Les emplois indirects sont notamment liés à la sous-traitance.
Qu’avez-vous remarqué de particulier sur l’activité d’Air France en 2023 ?
Il y a un effet redistributif de l’activité du groupe Air France-KLM dans d’autres régions. Ainsi, en Bourgogne-Franche-Comté, vous n’avez pas d’aéroport desservi directement par Air France ou Transavia, mais la région bénéficie de l’activité de l’entreprise à hauteur de 500 millions d’euros par an. C’est, par exemple, l’achat de bouteilles de vin qui seront servies à bord des avions de la compagnie aérienne. Concrètement, à travers ses achats, Air France-KLM participe à l’activité économique d’une région même lorsqu’il n’y a pas de desserte aérienne.
Herbert Castéran, enseignant-chercheur, également directeur de l'Institut Mines-Télécom Business-School.
Vous avez réalisé une étude en 2019 avant la crise du Covid-19. Avec cette nouvelle étude sur l’année 2023, avez-vous observé des conséquences dela crise sanitaire sur les résultats d’Air France ?
C’est difficile de vous répondre parce que la crise Covid est intervenue entre les deux. Il y a eu un impact en 2020 et en 2021 à cause de la baisse du trafic aérien. En 2023, nous observons sans doute un retour à une situation pré-Covid avec des déplacements rationalisés. Par exemple, pour des déplacements courts, on va assister à une fréquentation aérienne plus limitée et à des déplacements moins fréquents. Je parlerais néanmoins d’un retour à la normale parce que si l’on regarde la part d’Air France dans le PIB francilien en2023, elle s’établit à 3,2 %. C’est finalement assez comparable avec celle que l’on observait en 2019. Mais je constate aussi une progression de 5,6 % des injections directes en Île-de-France entre 2019 et 2024. On voit que l’activité d’Air France bénéfice de plus en plus à la région francilienne. Les injections directes s’établissent à 4,7 milliards d’euros. Elles se décomposent en deux grands éléments : 2,2 milliards d’euros de rémunérations payées aux différents employés sur les sites de Roissy et d’Orly et puis 2,5 milliards d’euros d’achats réalisés sur le territoire francilien. Par rapport à 2019, j’observe une croissance marquée des achats avec une augmentation de 17,3 % de ces derniers dans la région Île-de-France. Ça, ce sont pour les injections
directes. Au total, les injections induites par l’activité d’Air France sont, elles aussi, en croissance avec+13 % entre 2019 et 2024.
Comment arrivez-vous à calculer ces résultats ?
Je pars de trois données. D’abord, la structure des dépenses d’Air France-KLM. Elles s’expriment par les achats réalisés, la rémunération des salariés et la fiscalité. Ensuite, il y a un deuxième niveau. L’impact de l’entreprise est complété par les dépenses des passagers d’Air France-KLM. Quand Air France amène des touristes pour les Jeux olympiques en Île-de-France, la compagnie aérienne leur offre l’opportunité de faire des achats dans la région. Et puis, je prends également en compte l’activité des aéroports franciliens avec la présence d’Air France. Il faut par ailleurs noter le fait que des entreprises peuvent se maintenir dans certaines régions grâce à la desserte proposée par la compagnie.
Air France souhaite quitter l’aéroport d’Orly en 2026 pour laisser place à sa filiale low cost Transavia et se concentrer sur l’aéroport de Roissy. Est-ce que cela pourrait modifier l’impact de la compagnie en Île-de-France ?
Je n’ai pas étudié cela en particulier, mais dès lors qu’il y a une modification de desserte, en théorie, il peut y avoir un impact. Mais en pratique, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un départ mais plus d’une spécialisation de leurs dessertes et d’une rationalisation de l’utilisation des différents aéroports, j’ai tendance à penser que cela va plutôt accroître les retombées sur l’Île-de-France.
Quelles sont les principaux bénéfices liés à la présence d’Air France dans la région Île-de-France ?
Il y a trois éléments. Le premier, c’est que l’entreprise sert à assurer la possibilité pour un certain nombre de touristes et d’hommes d’affaires de venir dans la région. Elle assure une capacité à se déplacer. Deuxièmement, Air France exerce un effet structurant sur la présence d’entreprises et la possibilité de faire de l’Île-de-France un territoire d’émission et de réception en termes de volume d’affaires. Et enfin, c’est un donneur d’ordre puisque c’est un acheteur et un employeur de premier plan dans la région.
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