POUR GUY SAVOY, DONT LE RESTAURANT AU PREMIER ÉTAGE DE LA MONNAIE DE PARIS OFFRE UNE VUE IMPRENABLE SUR LA SEINE, LE GRAND PARIS DOIT ÊTRE UN VECTEUR D’AFFERMISSEMENT DE L’EXCELLENCE FRANÇAISE. ENTRETIEN.
PROPOS RECUEILLIS PAR JACQUES PAQUIER.
« LE SUCCÈS RÉSULTE D’UNE MULTITUDE DE PARAMÈTRES. C’EST UN MÉLANGE DE SAVOIR-FAIRE, DE DIVERSITÉ DANS CE SAVOIR-FAIRE, D’ENVIE, D’AUDACE… »
Vous êtes un amoureux de Paris…
Des fenêtres de mon restaurant de la Monnaie de Paris, je vois à la fois l’Institut, le pont des Arts, les bouquinistes, le Louvre, la Samaritaine, le pont Neuf… C’est magique !
Quels sont, selon vous, les freins au développement de l’excellence française, dont vous êtes, en matière gastronomique, l’un des fleurons ?
Pour moi, qui défends, à mon niveau, l’excellence, j’aimerais que celle-ci soit contagieuse. J’ose espérer que l’on peut faire mieux, tout en tenant compte naturellement des contraintes de notre époque. En France, on n’explique sans doute pas suffisamment aux gens ce qu’est l’excellence ou encore ce mot que l’on a parfois du mal à prononcer : le luxe. Ici, on l’associe immédiatement à l’argent. Mais, avant d’arriver au luxe, quel boulot, quelle histoire ! Je pense à l’histoire des savoir-faire, à celle de la diversité. Prenons le secteur de la gastronomie. On peut dire que tous les pays du monde possèdent une cuisine. Pourquoi sommes-nous le pays de la gastronomie ? Pour une raison très simple : notre localisation nous permet de tout faire pousser. On bénéficie d’une diversité de paysages, de climats, sur un territoire relativement petit, de 550 000 kilomètres carrés... Océan, mer, montagnes, vallons, côteaux, forêts, fleuves et rivières, la France offre tout ce qui permet à la nature d’être généreuse. Cette générosité, grâce aux travail des hommes – et des femmes –, a suscité la curiosité des Français, les a conduits à observer, puis à développer une grande diversité de savoir-faire, pour les vins, la charcuterie, la pâtisserie, la boulangerie, la confiserie… Voilà pourquoi, nous sommes le pays de la gastronomie. Nous disposons d’une multitude de pièces du puzzle qui compose ce paysage culinaire. Et la gastronomie participe du paysage, que ce soient les vignes, les vergers, les cultures diverses, pâturages, alpages, etc. Il faudrait que l’on explique un peu mieux tout cela à nos concitoyens. Je suis peut-être un peu simpliste, mais cela passe nécessairement par ce type d’explication.
Les Français ont un rapport ambivalent avec la réussite et ses signes extérieurs. Qu’en pensez-vous ?
Un sondage indiquait, il y a quelques années, que 93 % des Français rêvaient de déjeuner dans un restaurant étoilé. Il y a donc une aptitude à accepter l’excellence et même à en bénéficier. Et en même temps, certains vont détruire des boutiques… J’ai du mal à les comprendre. Pourquoi en arriver là ? Si on peut parvenir à expliquer tout cela dans le cadre du Grand Paris, en favorisant partout la création, l’innovation, ce sera parfait. Car, aujourd’hui, force est de constater que les gens viennent plus à Paris pour ce qui a été réalisé il y a des siècles que pour ce qui a été réalisé récemment. Paris continue de faire rêver, comme Florence ou Venise. J’avais un client, il y a quelques années, qui voyait 250 spectacles par an à Paris et en proche banlieue. Et on vous dit que les villes où il se passe des choses, c’est Londres et New York ! Mais ça bégaye un petit peu en ce moment. Si des acteurs privés, comme François Pinault, ne lancent pas des projets, il ne se passe pas grand-chose. Faisons rêver. Quand l’Hôtel de la Monnaie, où nous nous trouvons quai de Conti, a été créé en 1775, on ne disposait pas des moyens techniques d’aujourd’hui… Entre le Louvre et l’Institut… Mon kif, si l’on peut dire, c’est de traverser les deux cours du Louvre, puis la Seine par le pont des Arts, avec l’Institut de France face à moi. C’est tout simplement extraordinaire, tout comme le sont tous les hôtels particuliers des quais de Seine.
Vous êtes né à Paris ?
Je suis né à Nevers et j’ai grandi à Bourgoin-Jallieu, en Isère, puis j’ai fait un apprentissage de trois ans chez les frères Troisgros à Roanne, avant d’arriver dans la Capitale. Ma première place à Paris était chez Lasserre.
Vous n’êtes donc pas un héritier, vous vous êtes fait vous-même…
Mon père était jardinier à la ville de Bourgoin-Jallieu et ma mère tenait la buvette du jardin de la ville, voyez… Et savez-vous pourquoi j’ai décidé de venir m’installer à Paris ? En 1977, alors que travaillais chez Lasserre, je vais boire une menthe à l’eau sur les Champs-Élysées. Quand j’ai vu son prix, je n’ai pas porté de jugement. Mais je me suis dit, à Bourgoin ou à la Tour-du-Pin, on fait un repas pour ce prix-là. C’est donc à Paris qu’il faudra que j’ouvre mon restaurant !
À quoi attribuez-vous votre succès ?
J’ai toujours travaillé avec mon énergie, mon cœur. Si j’ai rallié autour de moi des convives qui aimaient mon style, c’est formidable. Le succès résulte d’une multitude de paramètres. C’est un mélange, encore une fois, de savoir-faire, de diversité dans ce savoir-faire, d’envie, d’audace… Hier soir, je citais encore une chanson de Brel, où il parle de Jojo, son copain qui vient de mourir : « Nous parlons en silence d’une jeunesse vieille, nous savons tous les deux que le monde sommeille, par manque d’imprudence. » Tout est dit ! J’ai été imprudent, bien évidemment. J’ai été extrêmement imprudent.
Votre premier restaurant ?
Rue Duret dans le 16e. Où je reste 7 ans, avant de déménager rue Troyon dans le 17e où je reste 28 ans, et cela fait 7 ans que je suis ici, à l’Hôtel de la Monnaie.
Vous avez pris des risques ?
Vous prenez des risques quand vous en avez conscience. Mais quand vous ne l’avez pas… Je me souviendrai toujours, à l’époque où j’avais emprunté de l’argent à 13,60 %. Vous imaginez… Dans les années 80, je ne m’en étais pas rendu compte, alors qu’au bout de 5 ans, mon comptable m’a dit que je n’avais pour l’instant remboursé que les intérêts et que, maintenant, je devais rembourser le capital.
Avez-vous beaucoup souffert de la Covid ?
On nous a tout de même fermés durant 3 et 7 mois. Mais j’ai la chance d’avoir beaucoup de Français, et de Parisiens, dans ma clientèle. Quand on a rouvert le 9 juin 2021, les Parisiens sont venus et nous ont beaucoup aidés. Il y avait un manque, donc il y a eu un afflux. Avant la crise, nous avions entre 4 et 6 tables de Coréens par jour. Ils reviennent progressivement, mais on n’est pas encore au niveau d’avant-crise. Aujourd’hui, on a tous les jours une table d’Indonésiens, une table de Thaïlandais, des nationalités que l’on ne voyait plus. Les Chinois ne peuvent toujours pas quitter leur pays. Et les Américains sont présents en grand nombre. On a d’abord eu ceux qui possèdent un pied à terre à Paris. Maintenant, beaucoup sont des touristes. Hier au soir, j’ai accueilli un couple de Bulgares, avec un couple de Français. Les Bulgares étaient à Paris pour voir l’exposition de Tatiana Trouvé au centre Georges Pompidou, dont vous avez un tableau derrière vous… Quand ils m’ont dit ça, je les installés en arc de cercle face à ce tableau. Ils sont venus ici parce qu’ils savaient que cette œuvre était là. J’ai la chance, cela se sait maintenant à travers la planète, que François Pinault me prête ses œuvres. Tout est important. On a besoin de cette énorme diversité qui mélange les savoir-faire techniques aux savoir-faire artistiques.
Quel regard portez-vous sur l’alimentation en circuits courts ?
On fait ça depuis longtemps ! La plupart de mes fruits et légumes proviennent des maraîchers franciliens. Savez-vous le nombre de maraîchers qui entourent Paris ? Quant à ma viande, elle provient de la Meuse.
Comment définiriez-vous votre cuisine ?
L’originalité dans l’originalité. La noblesse de notre métier, c’est de magnifier les produits dans des justes assaisonnements, des justes cuissons et en faisant attention au gras. On ne va pas mettre du beurre, de l’huile à outrance, lorsqu’il n’y en a pas besoin. Mon objectif, c’est de donner une deuxième vie aux produits.
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