Charles-Antoine Thomas, commandant de la Garde républicaine, décrit les grandes missions de cette institution qui regroupe quelque 3 500 femmes et hommes au service de la sécurité des palais nationaux, mais aussi du maintien de l’ordre dans différents théâtres d’intervention. Des missions opérationnelles qui la conduisent à se moderniser constamment pour rester à l’avant-garde des technologies de sécurité militaire, loin de la seule dimension protocolaire qui forge sa réputation.
Propos recueillis par Jacques Paquier.
Que retirez-vous de la participation remarquée de la Garde républicaine à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024 ?
Je me réjouis que la Garde ait été présente sur deux des quatre ou cinq tableaux de la cérémonie d’ouverture de ce grand événement populaire mondial qui resteront dans les mémoires. Permettez-moi de souligner au passage que, dans le cadre des Jeux olympiques, nous avons déployé chaque jour jusqu’à 1 200 gardes pour la sécurité des Parisiens, dont 200 à cheval.
Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les grandes missions de la Garde, que l’on réduit souvent, à tort, à ses apparitions protocolaires ?
Rappelons que la Garde républicaine date de 1802. Nous avons été créés par Napoléon Bonaparte, qui n’était pas encore empereur, mais premier consul, dans la même vague de sénatus-consulte que la création des Sapeurs-Pompiers de Paris. À l’époque, Bonaparte crée les soldats du feu pour protéger Paris des incendies et la Garde municipale de Paris, qui deviendra la Garde impériale de Paris, pour maintenir l’ordre dans la Capitale et servir les armées. Ce qui explique que la Garde républicaine se soit illustrée sur tous les champs de bataille du XIXe siècle et du XXe siècle.
Notre institution, qui compte aujourd’hui 3 500 hommes et femmes, est avant tout une force opérationnelle. Sa mission, telle qu’elle lui a été fixée dès sa création, est la protection, dans la Capitale, des institutions les plus sensibles de la République et de l’État, c’est-à-dire l’Assemblée nationale, le Sénat, l’Élysée, Matignon, le Conseil constitutionnel et certains ministères. Historiquement, la Garde républicaine est profondément liée à Paris. Au-delà de cela, notre rôle est non seulement de protéger
24 heures/24 et 7 jours/7 ces institutions très sensibles, mais c’est également d’incarner par les armes la réalité de la séparation des pouvoirs. Lorsque nous sommes dans l’enceinte de l’Assemblée nationale ou du Sénat, nous n’appartenons plus à l’exécutif. Enfin, nous venons de récupérer dernièrement la protection de l’autorité constitutionnelle que constituent le Palais de justice de Paris et l’autorité judiciaire. En résumé, nous protégeons tous les pouvoirs prévus par la constitution et les autorités qui leur sont attachées. Nous sommes à ce titre, comme je le dis souvent, le dernier rempart et le garant de la République, les seuls à être armés dans ces enceintes, les seuls à pouvoir les préserver.
Les risques d’intrusion qui planent au-dessus de ces institutions se sont-ils accrus ces derniers temps ?
Au regard des menaces actuelles, qui se sont aggravées en effet, nos missions sont excessivement sensibles, très précieuses à la vie même de l’État, de la République et de la démocratie. Je citerai les Gilets jaunes, les attaques cyber, les groupuscules radicalisés, qui représentent autant de menaces réelles. Face à elles, nous sommes forts de deux régiments d’infanterie, c’est-à-dire 1 600 hommes dédiés à la protection de ces sites, et de ce que l’on appelle les maisons militaires, structures permanentes implantées dans ces palais. La Garde républicaine, c’est également un régiment de cavalerie, un orchestre, des artisans, etc. Mais notre mission principale n’est pas d’ordre protocolaire et ne se résume pas à notre présence lors du défilé du 14 juillet ou devant les palais nationaux. Ces activités représentent seulement 11 % de notre profession. C’est dans la protection des sites sensibles de la République que réside l’essentiel de notre activité ainsi que, de plus en plus, dans la constitution d’une réserve stratégique destinée à être projetée sur des événements survenant parfois très loin de Paris. Comme à Mayotte, en Guyane ou à Sainte-Soline, là oùse manifestent les agissements de mouvements écologistes radicaux.
Comment la Garde a-t-elle évolué au cours des dernières années ?
L’adaptation à notre environnement est l’une de nos règles fondamentales. C’est le terrain qui commande. Nous avons développé, pour ne prendre que cet exemple, des moyens et des tactiques de lutte contre les drones. Nous sommes, au sein de la gendarmerie, les leaders dans ce domaine. C’est une de nos spécificités, qui s’explique par le fait que, chaque jour, les palais nationaux étaient survolés par ces engins, qui étaient utilisés essentiellement par des paparazzis. Ce sont désormais potentiellement des explosifs commandés.Nous disposons donc de brouilleurs anti-drones ainsi que de notre propre flotte de drones, afin de pouvoir réaliser des observations chez l’adversaire. Nous disposons également de chiens spécialistes de la détection d’explosifs, de tireurs d’élite, de capacités de tirs de nuit, etc. Nous avons par ailleurs contribué à renforcer la défense passive des sites dont nous avons la charge. Nous intervenons en l’occurrence comme conseil auprès des autorités sur la vidéo-protection, la sécurité périmétrique.
La Garde républicaine a-t-elle évolué également vers une plus grande parité ?
Les métiers dits d’autorité attirent de plus en plus les jeunes femmes, qui représentent aujourd’hui 30 % de nos effectifs, ce ratio s’élevant à 50 % au sein du régiment de cavalerie. Mais en réalité, la révolution des femmes en gendarmerie date d’il y a 25 ans.
Quels types d’intervention effectuez-vous à l’étranger et en outre-mer ?
Nos missions à l’étranger sont de deux ordres.Nous menons des missions de nature opérationnelle dans les zones de tension. Dans ce cadre, nos unités d’intervention appuient la force des unités de gendarmerie locales. C’est ce qui se fait en outre- mer, à Mayotte, à Saint-Martin, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie. Nous conduisons aussi des missions de renforcement de la protection de nos ambassades, comme ce fut le cas au cours des dernières années en Irak ou en Libye.Des détachements de la Garde interviennent par ailleurs sur différents théâtres d’opération. Nous sommes en capacité de projeter 24 heures/24 et 7 jours/7, à l’instant T, 30 militaires dont des tireurs d’élite, en particulier pour des missions de protection de site ou d’opération de contre- insurrection. Et nous intervenons en partenariat avec de nombreuses gardes étrangères, pour des missions diplomatiques, protocolaires, de rayonnement. Nous sommes par exemple jumelés avec la garde britannique. Nous avons pris part, dans ce cadre, aux manifestations organisées pour les 120 ans de l’Entente cordiale. Nous sommes également jumelés avec la garde personnelle de l’émir du Qatar ou avec les unités de la gendarmerie jordanienne. Nous jouons donc aussi un rôle de diplomatie militaire, de diplomatie étatique, notamment au profit du président de la République et du ministère de l’Intérieur. Nous intervenons par ailleurs auprès de nos partenaires dans le cadre de missions d’instruction et de formation. Deux de nos sous- officiers, tireurs d’élite, viennent ainsi d’effectuer un stage très long dans le corps des marines américains, sur la notion de combat.
Subissez-vous des restrictions budgétaires de la part de l’État et, si c’est le cas, comment y faites-vous face ?
La Garde républicaine, ce sont quelque 250 millions d’euros de masse salariale et 7 millions d’euros de budget de fonctionnement, pour 3 500 personnes auxquelles s’ajoutent 500 réservistes, une quinzaine de casernes, 3 000 logements... Le seul régiment de cavalerie, qui compte 460 chevaux, nous coûte2 millions d’euros par an. Bien évidemment, les problèmes budgétaires de l’État, qui touchent toutes les administrations, ont une acuité particulière ici. La Garde républicaine est une structure chère, comme aiment à le souligner les magistrats de la Cour des comptes. Elle est chère parce que les chevaux coûtent cher, parce que les bâtiments à Paris, c’est cher, parce que les matériaux et les uniformes, c’est cher aussi...Quand Charles III séjourne dans la Capitale, c’est1 000 de nos gardes qui sont mobilisés. Il nous faut donc trouver de l’argent. C’est le rôle de notre pôle événementiel. Nous louons des surfaces à des tiers, pour l’organisation d’événements divers, par exemple à Hermès, lors de la Fashion Week.Nous réalisons également, avec notre orchestre symphonique de 150 musiciens ou les Chœurs de l’armée française, des prestations d’orchestre, qui ont représenté en 2023 des recettes d’un montant d’1,5 million d’euros. Mais cela ne suffit pas.C’est pourquoi nous nous tournons de plus en plus vers le mécénat, notamment pour tout ce qui est lié aux infrastructures équestres, qui sont excessivement lourdes. Je pense en particulier aux investissements liés au bien-être animal, mais aussi à l’entretien et à la rénovation de notre patrimoine immobilier. Nos donateurs savent ce que leur générosité finance. Nous bénéficions aussi de mécénat de compétence, notamment de la part de grands groupes de travaux publics.
Quelles sont vos convictions en matière de sécurité intérieure ?
La première de mes convictions en la matière, c’est que les forces de sécurité sont là pour tout le monde. Nous sommes au service de la population et la seule façon d’être au service de la population, c’est d’être au milieu de la population. Une force de police qui serait exogène, qui serait perçue dans certains quartiers populaires comme étant une force qui va et qui vient, mais qui ne vit pas avec les gens, ne peut pas fonctionner efficacement. La proximité avec les populations constitue l’ADN de la gendarmerie. Une police de proximité, pour moi, est une expression redondante. L’action de police est forcément de proximité. Comment voulez-vous obtenir des renseignements, connaître les gens si vous ne faites pas de la proximité, si tout repose sur l’intervention ? L’intervention, c’est la finalité de l’action de police pour aller interpeller un auteur. Mais tout le reste repose sur votre proximité, sur votre présence enchâssée dans la population. Mon autre conviction, c’est que l’État doit être respecté.Et pour être respecté, il faut que les gens se comportent de manière respectable. Nous en gendarmerie, par exemple, nous interdisons le tutoiement. Le comportemental, la dignité, c’est la clé de tout. À partir de là, on peut bâtir une force de police sérieuse, puissante, respectueuse et respectée. C’est tout l’enjeu. Mais j’ai la conviction que dès lors que l’on occupe le terrain, que l’on est présent partout, tout le temps, que l’on a un comportement irréprochable, l’action de police est positive. Au passage, d’ailleurs, n’oublions pas de parler des victimes, alors que l’on parle le plus souvent des auteurs. Nous devons aussi cultiver notre capacité à accueillir les victimes.
UN PARCOURS MIXTE
Général Charles-Antoine Thomas
« Ma carrière a deux piliers, dont un premier très opérationnel. J’ai commencé dans l’armée de terre, dans les équipes de montagne, avant de rentrer en gendarmerie. Mon parcours opérationnel est assez conséquent en France, comme à l’étranger et en outre-mer, principale- ment orienté dans un premier temps sur le maintien de l’ordre et les interventions sur des lieux de tension. J’ai exercé aussi au sein de la gendarmerie départementale territoriale, dans des départements relativement compliqués, comme le Val-d’Oise. J’étais aux commandes lors des émeutes qui ont suivi le décès d’Adama Traoré. J’ai donc dirigé des interventions assez toniques, avec un aspect très opérationnel.
Et de l’autre côté, j’ai exercé des responsabilités dans les ressources humaines, en œuvrant de nombreuses années en administration centrale, jusqu’à être adjoint au directeur des ressources humaines. Je me suis aussi occupé de la mission des hauts potentiels, qui avait pour but de déterminer les futurs grands chefs. J’ai également été détaché pendant un an pour travailler sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur »
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