L’ÉCONOMISTE DE RENOM ET SPÉCIALISTE DES DYNAMIQUES TERRITORIALES PIERRE VELTZ ASPIRE À UN NOUVEL ÉLAN DE LA RÉGION CAPITALE ET INTERROGE LA GOUVERNANCE DU GRAND PARIS. DANS SON DERNIER OUVRAGE, L’ANCIEN PRÉSIDENT DE PARIS-SACLAY MISE ÉGALEMENT SUR L’ÉCONOMIE « HUMANO-CENTRÉE », TYPIQUEMENT MÉTROPOLITAINE ET COMPATIBLE AVEC LES PROBLÉMATIQUES ENVIRONNEMENTALES.
PROPOS RECUEILLIS PAR JACQUES PAQUIER.
Quel regard portez-vous sur le Grand Paris et sa gouvernance ?
Le Grand Paris est en attente d’un deuxième souffle. Il y a maintenant plus d’une décennie, Bertrand Delanoë et Pierre Mansat ont lancé une approche métropolitaine, franchissant la frontière (le mot n’est hélas pas trop fort) du périphérique. Nicolas Sarkozy et Christian Blanc ont enchaîné, avec le lancement de grands projets comme le Grand Paris Express ou Saclay. Ces projets se réalisent, plutôt bien, mais la dynamique d’ensemble s’est largement perdue. Aujourd’hui, nous avons la grande chance d’avoir une première ministre et un directeur de cabinet à Matignon qui connaissent très bien le sujet. Nous sommes donc très nombreux à compter sur eux pour remettre le Grand Paris sur les rails. C’est essentiel pour les millions de Franciliens qui vivent souvent difficilement la condition métropolitaine. Mais aussi pour la France, compte tenu du poids de la Région Capitale. Or les problèmes s’accumulent. Les inégalités sont croissantes, inquiétantes, les conditions de logement et de transport sont difficiles pour beaucoup, les questions écologiques restent ouvertes pour une agglomération très dépendante des énergies fossiles. Comment répondre à ces problèmes ? Nicolas Sarkozy avait esquivé le problème de la gouvernance. Une décennie plus tard, la question reste béante ! Or, elle est décisive. Nous avons toujours le même déséquilibre entre la ville centre, beaucoup trop introvertie, et le reste du territoire francilien : une coupure rare dans les grandes métropoles mondiales. Quant aux acteurs de première et de seconde couronnes, ils restent émiettés, en concurrence les uns avec les autres. Il n’existe pas de pilotage d’ensemble. La Métropole du Grand Paris n’est pas à l’échelle, ni par ses fonctions, ni par son périmètre. Séparer la zone dense de la deuxième couronne avait du sens à l’époque de de Gaulle, mais plus aujourd’hui. Le seul périmètre pertinent pour le Grand Paris, à mon sens, est celui de la région. Certains s’interrogent sur le fait que ce périmètre inclut de vastes zones rurales. Mais c’est au contraire un grand atout. Car une métropole moderne doit être urbaine et rurale, pour des raisons écologiques, énergétiques, alimentaires, hydrologiques… Au-delà des questions de périmètres et de compétences, le sujet-clé est celui de la démocratie et de la citoyenneté. Faire de la région Île-de-France le pilote métropolitain nécessitera des ajustements institutionnels, par exemple dans le mode d’élection.
« NOUS AVONS TOUJOURS LE MÊME DÉSÉQUILIBRE ENTRE LA VILLE CENTRE, BEAUCOUP TROP INTROVERTIE, ET LE RESTE DU TERRITOIRE FRANCILIEN : UNE COUPURE RARE DANS LES GRANDES MÉTROPOLES MONDIALES. »
Une des ambitions portées par l’ensemble des acteurs du Grand Paris est de faire rayonner la métropole au-delà même de ses frontières. Selon vous, quels secteurs devraient être particulièrement valorisés ?
On ne peut pas séparer l’économie de la qualité de vie. Adaptation au changement climatique, pollutions, emplois, déplacements, logements (une grande priorité), hospitalité vis-à-vis des migrants et des visiteurs, formation : tous ces grands défis ne peuvent plus être traités à l’échelle communale, y compris celle de Paris-centre. Ils ont tous une dimension métropolitaine. S’ils ne sont pas traités, une partie des habitants continuera à quitter la ville. Vous m’interrogez sur les perspectives économiques. La métropole garde de très beaux atouts. Le capital d’image est considérable. L’industrie du luxe, désormais une des premières industries françaises, a fait de Paris sa vitrine. Ceci dit, il ne faudrait pas qu’elle colonise tous les projets nouveaux des quartiers centraux. Le tourisme devra éviter la thrombose de Paris-centre. Les sites formidables et méconnus foisonnent en Île-de-France, en dehors de Paris-centre et de Versailles. Le Grand Paris est aussi et surtout un foyer extraordinaire de création scientifique, technologique, industrielle et culturelle. On ignore souvent que le potentiel universitaire met le Grand Paris au tout premier rang mondial, avant Londres ou New York. C’est à mon sens une carte maîtresse. Il y a enfin, et peut-être surtout, l’immense potentiel d’énergie et de créativité de la jeunesse francilienne, avec ses multiples nationalités, cultures et connexions dans le monde.
« ON NE PEUT PAS SÉPARER L’ÉCONOMIE DE LA QUALITÉ DE VIE. »
Ces constats rejoignent les enseignements de votre dernier ouvrage, « L’économie désirable - Sortir du monde thermo-fossile ». Qu’entendez-vous par cette notion d’économie désirable ? En quoi vous semble-t-elle particulièrement intéressante pour la métropole du Grand Paris ?
Des évolutions très profondes sont en cours dans notre économie. De nouveaux secteurs se développent, qui nous font sortir progressivement, pas assez vite peut-être, de l’économie d’accumulation d’objets qui pèse si lourd sur les ressources de la planète. La santé, l’éducation, la formation, le divertissement, la culture : ce sont aujourd’hui ces secteurs qui ont la plus forte croissance. Je parle à leur propos d’une économie « humano-centrée ». Ce sont des activités dont l’empreinte carbone est bien moins lourde que celle des secteurs traditionnels. Prenons la santé. On la considère comme un secteur de dépense, de coût, alors que c’est d’abord un formidable moteur de création de valeur. Il y a dans ce champ des perspectives de développement magnifiques, qui pourraient faire du Grand Paris un centre mondial d’innovation, comme Boston par exemple, mais aussi d’expérimentation de nouvelles approches en termes de soins, de prévention, de services. À cet égard, je suis interpellé par la sur-concentration des CHU dans Paris intra-muros, qui valorise très mal les ressources du reste du territoire. Un Grand Paris de la santé, au sens le plus large du terme, voilà un projet mobilisateur pour la métropole du futur.
« LA SANTÉ, L’ÉDUCATION, LA FORMATION, LE DIVERTISSEMENT, LA CULTURE : CE SONT AUJOURD’HUI CES SECTEURS QUI ONT LA PLUS FORTE CROISSANCE. JE PARLE À LEUR PROPOS D’UNE ÉCONOMIE “HUMANO-CENTRÉE”. »
Quelle place occupe le Grand Paris en France ?
Le Grand Paris est un sujet national. Si la Région Capitale va mal, c’est l’ensemble du pays qui souffre. De ce point de vue-là, il y a les images et la réalité : une idée encore répandue voudrait que Paris se nourrisse en parasite du reste de la France.
« Paris et le désert français » reste dans la tête de beaucoup d’élus. Il est vrai que l’hyper-concentration de certains secteurs comme les médias, l’édition, etc. dans le microcosme de Paris-centre pose problème. Mais la réalité des chiffres est que l’Île-de-France redistribue en fait énormément vers les autres régions. Nous avons cette chance d’avoir un système urbain très équilibré avec une métropole mondiale, ce qui n’est pas le cas de l’Allemagne par exemple, et cette superbe couronne de grandes villes dynamiques à deux ou trois heures de TGV. Je parle à ce propos de la « métropole France », car il s’agit d’économies urbaines étroitement interconnectées. L’ouverture maritime, par la vallée de la Seine, est aussi un grand enjeu. On pourrait imaginer une sorte de conférence nationale regroupant Paris et les grandes villes françaises pour valoriser ce modèle. Les Chinois sont d’ailleurs en train de s’organiser sur ce mode qu’ils qualifient de « super clusters urbains ». Il y a un potentiel de synergies absolument considérable. Contrairement à ce qu’un discours anti-métropolitain actuel veut faire croire, cette valorisation ne serait en rien préjudiciable aux villes moyennes et petites. Mais, pour commencer, nous espérons que le quinquennat Macron 2 sera celui de la relance vigoureuse du Grand Paris.
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