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LE GRAND PARIS FACE AU DEFI DE LA MIXITE SOCIALE

Véritable puissance économique, la métropole du Grand Paris est marquée par de fortes inégalités, peuplée à la fois par les habitants les plus riches et les plus pauvres de France. Mais, au-delà de ce constat, le territoire n’est pas le plus ségrégué du pays, même si la mixité recule sous l’effet de la hausse des prix de l’immobilier et du manque de logements sociaux.

Par Stéphane Duguet







Avec une hausse moyenne en France de 5,2 % en 2022, l’inflation aura révélé encore un peuplus la précarité de millions de Français. La Banque Alimentaire a d’ailleurs recensé, cette année-­là, 2,4 millions de bénéficiaires, trois fois plus qu’il y a dix ans. Le phénomène de la pauvreté concerne d’autant plus la métropole du Grand Paris qu’elle est la plus inégalitaire, à l’image de la région Île-de-France.

« On est dans une métropole qui polarise grandement les écarts de revenus », relève Éric Constantin, directeur régional de la Fondation Abbé Pierre en Île-de-France. Les études menées par l’Insee avec l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) attestent qu’au sein de la métropole, en 2019, les 10 % des ménages les plus aisés gagnent cinq fois plus que les 10 % des ménages les plus pauvres. « Ce ratio est le plus élevé des 22 métropoles de France », notent les auteurs du rapport sur la mixité, publié en février 2023.


Le rôle clé de la redistribution

Au sein de la métropole en 2019 (dernière année dont les données sont disponibles à l’échelle métropolitaine), les 10 % les plus aisés disposent d’un revenu mensuel de plus de 4 500 euros, contre 3 300 euros au niveau national. De leur c


ôté, les 10 % les plus pauvres vivent avec moins de 900 euros, contre 971 euros en moyenne en France. Un dernier indicateur permet de saisir l’ampleur des inégalités : la métropole avait un taux de pauvreté de 18 % en 2013 d’après l’Insee et l’Apur, quatre points de plus qu’au niveau national.

La pauvreté dans la métropole du Grand Paris pourrait être encore plus importante sans la redistribution. En effet, « le versement des prestations familiales, minima sociaux et aides au logement, et le prélèvement d’impôts directs contribuent à atténuer ces disparités de revenus », précise l’étude sur les inégalités de revenus. Ainsi, les disparités sont réduites de 44 % grâce aux mécanismes redistributifs. Mais les statistiques masquent une réalité : le coût de la vie dans la métropole est plus élevé que la moyenne nationale. Cela signifie qu’encore plus de personnes pourraient être considérées comme pauvres. L’Insee a donc établit le nombre d’entre elles qui se trouveraient sous le seuil de pauvreté si l’on prend en compte le revenu médian francilien. Au total, elles sont 470 000 à se situer dans le « halo de la pauvreté ». L’étude de l’Insee note qu’en « l’absence de prestations sociales, 70 % de ces personnes basculeraient sous le seuil national de pauvreté ». « On voit bien tout le danger de chercher à diminuer des aides comme les APL », rappelle Éric Constantin.


Opposition ouest/nord-est

Les disparités entre les Établissements publics territoriaux (EPT) de la Métropole du Grand Paris (MGP) sont très marquées géographiquement. Les plus riches habitent l’ouest de Paris et de la métropole, les plus pauvres le nord-est. « La Seine-Saint-Denis est le département le plus pauvre et Paris le département le plus riche », observe le directeur régional. La Seine-Saint-Denis enregistre ainsi un taux de pauvreté de 27,6 %. Au sein même du département, c’est l’EPT Plaine Commune qui est le moins favorisé avec un taux de pauvreté de 37 %. « Les causes de ce phénomène sont multifactorielles et parfois cumulatives », explique Mathieu Hanotin, président de Plaine Commune et maire socialiste de Saint-Denis, citant entre autres la population jeune, la surreprésentation des familles nombreuses, monoparentales ou le taux de chômage.

À une échelle plus locale, un indicateur donne une idée très précise du grand écart des revenus au sein de la MGP. À Aubervilliers, ville la plus pauvre de la métropole, les 10 % les plus riches gagnent au moins 28 280 euros par an.

À un peu plus de 10 kilomètres de là, les habitants du 7e arrondissement de Paris, les 10 % les plus aisés, gagnent au moins 135 220 euros par an. « Le vécu de la pauvreté peut être plus compliqué parce qu’à proximité il y a des gens très riches et des gens très pauvres, avec une difficulté à faire bouger ces lignes », constate Cécile Tagliana, ancienne commissaire à la lutte contre la pauvreté à la préfecture de la région d’Île-de-France. « Les évolutions se font sur le temps long. »


Ségrégation et mixité sociales

Cette inertie s’illustre aussi par l’évolution de la mixité dans la métropole du Grand Paris. Elle a, en effet, très légèrement régressé depuis 15 ans, d’après une étude de février 2023 de l’Insee et l’Apur. Cette publication révèle que 37 % de la population métropolitaine vit dans un quartier mixte, dans lequel « la répartition des ménages par niveaux de revenus est proche de la moyenne observée dans le pôle de Paris ». Au contraire, 21 % des Grands Parisiens vivent dans un quartier « ségrégué », c’est-à-dire un quartier dans lequel cohabitent des populations avec le même niveau de revenus, qu’ils soient élevés ou faibles. Plaine Commune (T6), Paris Terres d’Envol (T7) et Paris Ouest La Défense (T4) sont les trois EPT les plus ségrégués d’après l’Insee et l’Apur. Les deux premiers concentrent des populations modestes, tandis que le troisième des habitants aisés.

« La métropole du Grand Paris est la plus inégalitaire de France, mais pas la plus ségréguée », nuance Marie Acs, cheffe de projets d’action régionale à l’Insee Île-de-France et autrice de l’étude. Cela s’explique, d’abord, par la densité de la métropole : « Plus les zones sont denses, plus on a de probabilité d’avoir de la mixité. » Parmi les résultats de cette analyse, Plaine Commune et Paris Terres d’Envol, les deux EPT les moins mixtes de la MGP, suivent des dynamiques différentes. Au sein de Plaine Commune, la mixité a augmenté de 4 % « mais la situation partait de très très bas et est portée par les communes limitrophes à Paris qui connaissent beaucoup de projets d’aménagement », indique Marie Acs. Au contraire, la mixité a reculé de 8 % au sein de Paris Terres d’Envol. Même tendance à Paris Ouest La Défense, qui a perdu cinq points de mixité, « certainement à cause du prix de l’immobilier qui pousse les plus modestes à partir », selon la cheffe de projets.


Manque de logements sociaux

La mixité de la métropole dépend aussi du nombre de logements sociaux construits dans les EPT. « Si on a trop peu de logements sociaux, on perd en mixité et on augmente en ségrégation entre personnes aisées, comme dans l’ouest parisien. À l’inverse, quand on a une part de logements sociaux trop importante, on augmente en ségrégation, mais entre personnes modestes », souligne Marie Acs. Dans la métropole, comme ailleurs en France, « il y a clairement une difficulté à construire du logement et du logement social pour être en adéquation avec la densification », complète Cécile Tagliana.

Sur cette question, Éric Constantin regrette que l’objectif de construction de 37 000 logements sociaux par an en Île-de-France d’ici 2030 « plafonne à 20 000 » depuis 2017. La loi SRU, qui impose à une ville de disposer de 25 % de logements sociaux, peine encore à être respectée dans la région. « On en est loin, déplore le directeur régional de la Fondation Abbé Pierre. 232 communes sont déficitaires et 49 font l’objet d’un arrêté de carence ! » Au rang desquelles figurent Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) et Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). Au-delà de la production, Éric Constantin attire l’attention sur l’attribution des logements sociaux aux ménages les plus pauvres : « En Île-de-France, 25 % des ménages qui font une demande de logement social sont pauvres et ne bénéficient pourtant que de 13,8 % des attributions, contre 25 % comme l’exige la loi égalité et citoyenneté. » Les attributions varient selon les EPT : dans les quatre EPT de Seine-Saint-Denis, 20 % des logements sociaux sont attribués aux plus modestes. C’est 8 % à Paris Ouest La Défense et Grand Paris Seine Ouest (T3).


Héritage attendu des Jeux olympiques

En plus des nombreuses politiques publiques enga­gées contre la pauvreté, l’héritage des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 est attendu.

« Ils offriront des équipements sportifs flambant neuf, 3 000 logements, des ponts… », énumère Mathieu Hanotin. L’élu mentionne aussi les opportunités d’emploi générées par l’événement. Cécile Tagliana confirme : « On attend beaucoup des JOP, notamment sur les transports, parce que de nombreuses zones sont encore enclavées et ce n’est pas bon pour l’emploi. » Mais elle prévient tout de même : « On attendait aussi des retombées après les Jeux de Londres et on a été un petit peu déçu. »


1,3 MILLION DE MAL-LOGÉS RÉSIDENT EN ÎLE-DE-FRANCE. À PARIS, LES POPULATIONS LES PLUS PAUVRES HABITENT DANS LES 18E, 19E, 20E ARRONDISSEMENTS ET DANS LE SUD DU 13E.

Éric Constantin, de la Fondation Abbé Pierre, regrette que l’objectif de construction de 37 000 logements sociaux par an en Île-de-France d’ici 2030 « plafonne à 20 000 » depuis 2017.

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