Sans eux, pas d’eau potable, pas de baignade dans la Seine, la Marne ou l’Oise, pas de traitement des ordures ménagères ni d’électricité, de gaz ou de haut débit dans nos communes : les grands syndicats urbains de l’Île-de-France assurent le fonctionnement de la Région, depuis un siècle pour certains. Revue de leurs grands projets à travers le regard de leurs directeurs généraux, à l’heure du défi écologique.
Par Fabienne Proux et Jacques Paquier
Une vision holistique pour le long terme
Denis Penouel, directeur général des services du Syctom, l’Agence métropolitaine des déchets ménagers
Outre l’Île-de-France, voire le Grand Paris, Denis Penouel a un parcours très ancré dans tous les secteurs de l’environnement, « par choix et conviction », comme le précise celui qui est à la tête du syndicat depuis fin 2021. Assainissement, déchets, énergie, eau potable, Denis Penouel fait de ces sujets aussi sensibles que cruciaux le fil conducteur de sa carrière. Depuis le début du XXe siècle, les secteurs urbains fonctionnement, selon lui, en silo, « alors que les différences sont ténues » : « Nous devons assurer une mise en cohérence de toutes les politiques publiques en la matière, avoir une approche transversale, complémentaire et établir des passerelles, des coopérations pour gagner en efficacité. » S’il s’agit encore d’un « vœu », Denis Penouel assure que la dynamique est enclenchée via, notamment, des partenariats avec le Siaap (Syndicat intercommunal pour l’assainissement de l’agglomération parisienne) et le Sigeif (Syndicat intercommunal pour le gaz et l’électricité en Île-de-France). Leur point commun ? « Nous sommes une émanation des territoires qui prennent en compte une politique environnementale de plus en plus globale qui s’inscrit elle-même dans une politique de développement durable », explique-t-il.
Aussi, les directeurs doivent-ils se poser en « créateurs de circonstances », en étant à l’écoute et fonctionner en lien avec les territoires, connaître leurs besoins et attentes qui divergent d’un secteur à un autre, mais aussi leurs collègues. « Nous sommes à la confluence entre les exécutifs politiques (assemblées composées d’élus) et l’administration (agents publics) », résume Denis Penouel.
Un plan stratégique à horizon 2050
Plus que de formation pour se tenir au fait des dernières réglementations, le directeur général reconnaît également devoir faire preuve de « beaucoup de curiosité ». Tout l’enjeu est, d’après lui et l’expression du philosophe et homme politique italien Antonio Gramsci, « d’allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ». « Nous sommes constamment sur cette ligne de crête, reconnaît-il, entre la nécessité d’agir en faveur du développement durable et pour rendre service à des millions d’habitants, et les freins à cette action pour des raisons de coûts ou d’opposition des riverains. » Mais il s’agit aussi d’avoir à la fois une vision holistique pour le long terme (celle des élus) et de se soucier du détail dans les actions quotidiennes (celle des usagers).
À son initiative, le Syctom a ainsi adopté en 2022 un plan stratégique à horizon 2050, « pour se donner une vision partagée, avoir de la visibilité et établir une partition d’ensemble » avec 56 actions. Deux leviers majeurs servent ce plan : d’une part, la formation et la motivation des agents, et de l’autre, l’innovation de manière à savoir anticiper.
« Nous sommes constamment sur une ligne de crête, entre la nécessité d’agir en faveur du développement durable et pour rendre service à des millions d’habitants, et les freins à cette action pour des raisons de coûts ou d’opposition des riverains »
« Le tempérament et l’expérience de nos élus sont une garantie d’indépendance »
Raymond Loiseleur, directeur général des services du Sedif, Syndicat des eaux d’Ile-de-France
Ancien directeur général des services de Grand Paris Seine Ouest, Raymond Loiseleur dirige depuis deux ans le Sedif. Une prise de fonction qui coïncide avec la montée en charge du projet d’Osmose inverse basse pression (OIBP), un process moderne de filtration membranaire sur lequel le syndicat travaille depuis 2015 et dont l’opportunité est alors parfois mise en doute. C’est une des raisons qui poussent le Sedif, jusque-là peu médiatisé, à communiquer davantage. « Grâce au travail de Guillaume de Stordeur (ndr : directeur de la communication du syndicat), nous n’avons jamais été aussi présents dans les médias », se félicite Raymond Loiseleur. Alors que les inquiétudes relatives à des taux de présence du chlorothalonil dans l’eau du robinet très supérieurs aux plafonds fixés par les normes défrayent la chronique, le débat sur la pertinence de l’OIBP se trouve ainsi renouvelé, tendant à démontrer le bien-fondé de cette technologie.
« Lorsque j’étais aménageur, j’allais parfois présenter mes projets au préfet. Désormais, ce dernier, qui exerce l’autorité de la police de l’eau, a les yeux rivés sur nous, tant nos enjeux, de sécurité et de disponibilité de la ressource, sont centraux », souligne le directeur général.
Mise en place de la filtration membranaire
L’Île-de-France a la chance de disposer d’un volume d’eau considérable, grâce à ses trois rivières et fleuves que sont la Marne, l’Oise et la Seine. Mais cette eau est fragile et polluée. La région n’a donc pas de problème de volume mais de qualité. Les autres régions bénéficient de réserves souterraines, déjà filtrées, tandis que la région parisienne puise son eau dans les fleuves et les rivières, ce qui suppose de la traiter. « C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité mettre en place la filtration membranaire, indique Raymond Loiseleur, soit un filtre supplémentaire pour traiter une eau de plus en plus polluée, de plus en plus dégradée. En ce sens, l’actualité nous sert, puisqu’elle montre que les barrières multiples déjà existantes dans nos usines pour filtrer l’eau ne suffisent plus aujourd’hui. Jusque-là, ajoute le directeur général, nous étions parfois décrits comme un syndicat que l’aisance supposée conduisait à aller chercher des technologies coûteuses, consommatrices d’énergie et superflues. Ce n’est plus le cas. Et le tempérament et l’expérience de nos 15 élus constituent une garantie d’indépendance. »
Le Sedif va renouveler sa délégation de service public, à l’issue du débat public sur l’OIBP, qui s’est achevé en juillet. La mission est en phase de rédaction de son rapport, qui rend compte des observations recueillies auprès du public. « Il nous reviendra de nous prononcer ensuite sur les enseignements que nous tirons de ce débat », souligne Raymond Loiseleur. C’est à l’issue de cette phase que l’appel d’offres en vue du renouvellement de la concession du Sedif se rapprochera de sa conclusion, avec les deux soumissionnaires, qui sont Veolia et Suez. La signature du prochain contrat, approuvée par les élus du Sedif, doit avoir lieu mi-2024, avec une entrée en vigueur au 1er janvier 2025, pour une période de 12 ans. Le futur concessionnaire exploitera l’ensemble des installations, qui sont la propriété du Sedif : 3 usines deproduction, 4 usines à puits, 78 réservoirs, 45 stations de pompage, 8 000 km de canalisations.
Le Sedif a géré par ailleurs la sortie partielle de deux établissements publics territoriaux, Grand Orly Seine Bièvre (GOSB) et Est Ensemble, avec lesquels un accord a été conclu en 2022. Ces derniers emportent avec lui une part du patrimoine qui appartenait précédemment au Sedif, des canalisations, certains équipements. « La loi nous demande de donner aux adhérents qui choisissent de sortir du Sedif les moyens de leur autonomie, explique Raymond Loiseleur. La séparation de biens est en cours. Mais comme ces deux EPT ne disposent pas aujourd’hui de leurs outils de production, ils achètent la totalité de leur eau au Sedif, à des tarifs supérieurs à ce qu’ils payaient auparavant.
« La légitimité de nos structures ne cesse de se renforcer »
Christophe Provost, directeur général du Sigeif, Syndicat intercommunal pour le gaz et l’électricité en Île-de-France
Une récente étude le rappelait, les grands services urbains d’Île-de-France sont des modèles à bien des égards : par la taille de leur territoire qui leur permet d’offrir des services mutualisés au meilleur coût ; par leur vocation – ce sont des syndicats techniques – qui les préserve de toute paralysie, leur gouvernance étant trans-partisane par construction ; par leur histoire qui les a vus surmonter toutes les mutations énergétiques et les soubresauts institutionnels ; par leur ancrage territorial, enfin, renforcé par l’affectio societatis de leurs membres.
Cette spécificité francilienne a fort heureusement été reconnue à l’occasion de l’examen des lois Maptam et NOTRe en 2014 et 2015. Elle perdure et la légitimité de ces structures ne cesse de se renforcer. Et pour cause !
« La meilleure énergie au meilleur endroit »
Qui de mieux placé que le Sigeif, par exemple, pour affronter les défis de la décarbonation des transports, de la sobriété des bâtiments publics, de la production locale d’énergies renouvelables ? Ces sujets, il les traite depuis plusieurs décennies parfois, il les a anticipés souvent : l’adaptation au changement fait partie de son ADN. Arrêtons-nous sur le gaz, par exemple. Depuis 120 ans, il a écrit tous les chapitres de l’histoire de cette énergie : développement du réseau (plus de 9 500 km), modification des usages (éclairage public, chauffage, carburant)… Il a ouvert, avec le spectaculaire projet de biométhanisation de Gennevilliers qu’il a initié, le nouveau chapitre qui consiste à passer du gaz fossile au gaz vert. Méthanisation aujourd’hui, pyrogazéification et power-to-gaz demain.
La mise en service de la plus grande ferme solaire d’Île-de-France à Marcoussis a montré sa capacité à agir sur d’autres sujets que sa vocation initiale, et vite : il aura fallu moins de quatre ans entre la décision politique et l’injection dans le réseau des premiers MWh. Parce qu’il croit à la mixité énergétique (la meilleure énergie au meilleur endroit), il est le premier à s’être engagé dans un contrat chaleur renouvelable avec l’Ademe, partenariat qu’il entend renforcer dans les mois qui viennent.
Le Sigeif est aujourd’hui, par ailleurs, un acteur de référence de la décarbonation en cours de la mobilité ; 1er réseau public de bornes de recharge : 102 communes, et 1 000 points de charge, 7 stations multi-énergies propres qui offrent, pour la dernière et la plus grande d’entre elles, à Réau par exemple, la possibilité de s’avitailler avec du gaz naturel comprimé d’origine locale 100 % renouvelable ! Avec des recettes qu’il maîtrise parce qu’elles ne dépendent pas de l’État, mais, pour l’essentiel, des redevances de ses concessionnaires, dont le montant est sécurisé sur le long terme, il est aujourd’hui plus que jamais en accompagnement de la transition énergétique voulue par ses collectivités adhérentes. Il l’est aussi par son ouverture à l’innovation qui, toujours, l’a poussé à expérimenter pour rendre possible des développements industriels. Déjà, il s’intéresse aux opportunités qu’offre l’intelligence artificielle dans la gestion des réseaux. Le Sigeif, c’est la sagesse des anciens doublée du dynamisme d’un adolescent, l’agilité d’une start-up s’appuyant sur la sécurité du service public. »
« Nous n’avons jamais cessé d’être des pionniers »
Arnaud Brunel, directeur général du Sipperec, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication
Le Sipperec fêtera ses 100 ans en 2024. Il est né de la volonté d’électrifier le Grand Paris qui, à l’époque, s’appelait le département de la Seine. Dès sa création, le syndicat s’est montré très innovant, l’ensemble des élus du département de la Seine exprimant la volonté de se fédérer pour créer un réseau électrique commun, doté de la même tension. Aujourd’hui, cela peut sembler banal, mais cela partait déjà, il y a un siècle, de l’idée de construire un territoire intelligent.
Depuis, le Sipperec est toujours resté à la pointe, je pense par exemple au développement du numérique et du très haut débit, dans lequel nous nous sommes lancés à la fin des années 90. Nous avions été les pionniers dans le domaine de l’électricité et nos élus souhaitent qu’il en soit également ainsi en matière de haut débit.
Même chose en matière d’énergie renouvelable. La compétence énergie renouvelable du Sipperec date de 2005. Nous étions alors les seuls à investir, installer et exploiter massivement des panneaux solaires en toiture, alors que l’énergie avait un coût très faible à l’époque. Nous comptons aujourd’hui 120 installations solaires sur notre périmètre. Personne ne peut en dire autant.
Toujours présents dans les domaines de l’énergie et du numérique
Depuis 2005, trois présidences se sont succédé à la tête du Sipperec et toutes ont souhaité accélérer cette politique de développement des énergies renouvelables. Nous nous sommes par ailleurs lancés dans l’autoconsommation de l’électricité produite par ces installations dans un rayon d’un kilomètre autour d’elles. Nous nous développons aussi dans de grands parcs au sol solaires. Nous venons, par exemple, de mettre en service un grand parc au sol à Étréchy en Essonne.
Même chose encore lorsque nous nous sommes lancés dans les réseaux de chaleur et la géothermie profonde en 2010, il y a 13 ans, quand le gaz était encore très peu cher. En 2010, avec les maires d’Arcueil et de Gentilly, le Sipperec préconisait de remplacer les chaudières au gaz par des réseaux de chaleur alimentés par géothermie profonde, cela représentait une réelle innovation en avance sur son temps.
La marque de fabrique du Sipperec a donc été d’être toujours présent sur un territoire innovant et inventif, avec une volonté constante d’apporter des solutions concrètes, de trouver les financements, de construire, d’exploiter, tant dans le domaine de l’énergie que dans celui du numérique. Nous avons été aussi des pionniers en matière de mobilité électrique, tout comme la Métropole et les autres syndicats d’énergie d’Île-de-France. Nous comptons aujourd’hui près d’un millier de points de charge dans la région, soit l’un des plus importants réseaux, qui s’agrandit de jour en jour. Le nombre de charges est également en augmentation constante. »
« Nous devons faire face à une inversion des paradigmes »
Richard Buisset, directeur général du Siaap, Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne
Après 28 années passées dans l’industrie nucléaire, Richard Buisset met, depuis février 2023, sa double expérience en exploitation et en fonctions centrales au service du Siaap. Souhaitant « se renouveler »et « apprendre de nouvelles choses », cet ingénieur diplômé de l’École des Mines de Saint-Étienne, un cursus complété par un Executive MBA à Londres, a « découvert un syndicat passionnant exerçant une mission de service public essentielle et au cœur des préoccupations des citoyens ». De par leur fonctionnement permanent et leur classification en sites ICPE et pour les plus importantes Seveso, les stations d’épuration et les centrales nucléaires présentent un certain nombre de points communs en matière de maîtrise des risques industriels.
« En revanche », précise Richard Buisset, « les installations du SIAAP ont la particularité d’être implantées en milieux urbains très denses, ce qui implique de prendre en compte encore davantage leurs impacts sur l’environnement et les riverains. »
Deux nouvelles directions
Les préoccupations environnementales « animent depuis longtemps » le nouveau directeur du Siaap, à la tête d’une entité de 1 800 collaborateurs, qui a entre autres pour mission d’adapter le syndicat aux enjeux du dérèglement climatique. Baignabilité de la Seine, réduction du débit du fleuve du fait de la sécheresse, gestion des épisodes orageux, adaptation des locaux aux températures élevées, réduction de l’empreinte carbone du syndicat, montée en puissance de la production d’énergie… « Nous devons faire face à une inversion des paradigmes », convient Richard Buisset, qui se prépare à relever ces divers enjeux. Pour ce faire, il a créé deux nouvelles directions : celle de l’environnement et celle des études stratégiques et prospectives, dotée d’un bureau d’études interne et maillée avec la direction de l’innovation. Outre un important programme d’investissement pour moderniser les stations d’épuration, alimenter des réseaux de chaleur et construire de nouveaux collecteurs d’eaux usées et de pluie (5 tunneliers sont en action actuellement), un vaste plan d’actions est lancé, prévoyant notamment la connexion de l’excédent de biogaz produit par les usines du syndicat dans les réseaux de GRDF et GRTgaz.
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