LE QUARTIER D’AFFAIRES, IMAGINÉ À PLEYEL PAR LE GÉNÉRAL DE GAULLE, EST RESTÉ EN SOMMEIL DURANT PLUS DE 50 ANS. EN 2030, LE GRAND PARIS VA RESSUSCITER LE PROJET GAULLIEN.
PAR PHILIPPE-ENRICO ATTAL
En juillet 1967, les lecteurs de Paris Match découvrent avec stupéfaction à quoi ressemblera Paris dans les 20 prochaines années. Des vues d’artistes offrent une vision réaliste des projets voulus par le président de la République, le général de Gaulle en personne. Bien sûr, il y a le nouveau quartier de La Défense qui focalise les esprits. Depuis la construction du CNIT, cet étonnant centre d’expositions à l’architecture audacieuse, le public a eu un avant-goût du saut dans la modernité entrepris par les pouvoirs publics. Dans cette France qui roule encore en 4L, où la deuxième chaîne vient tout juste d’ouvrir son antenne et où il faut attendre 5 ans pour avoir le téléphone, le pari est audacieux. Les images publiées par le magazine mettent la Capitale au même plan que les grandes cités nord-américaines. Les Parisiens vivront et travailleront dans des tours et se déplaceront largement en voiture grâce à l’impressionnant réseau « d’autostrades » déployé autour de la ville. Et tant pis si le canal Saint-Martin ou les boulevards parisiens sont devenus des voies rapides dévolues à l’automobile. Si le projet phare reste bien La Défense, d’autres quartiers seront pareillement modifiés par les urbanistes. Au fil des pages, on découvre ainsi le Front de Seine et son Île aux Cygnes transformée en héliport, Montparnasse avec sa tour, sa nouvelle gare et ses autoroutes débouchant au cœur du quartier ou encore l’étonnant Ministère de l’éducation nationale qui écrase le dôme des Invalides tout proche. Sans doute le prix à payer pour entrer définitivement dans l’ère moderne.
Au nord de Paris, le Général entend développer un nouveau quartier d’affaires qui sera le pendant de La Défense. Cette zone anciennement industrielle est appelée à se reconvertir à plus ou moins long terme. Les pouvoirs publics misent largement sur le tertiaire en prévoyant d’y établir un ensemble de bureaux où 10 000 employés viendront travailler chaque jour.
Une importante friche à exploiter
À l’origine, c’est la fameuse manufacture de pianos Pleyel qui occupait le site. Au début des années 60, les usines quittent Saint-Denis laissant une importante friche industrielle. Les promoteurs pensent un temps y établir des logements, mais les pouvoirs publics veulent des bureaux. Plusieurs aménagements sont envisagés avant qu’un projet plus élaboré ne soit retenu. Il prévoit l’édification de quatre tours hautes de 125 mètres, de forme trapézoïdale, articulées autour d’un bassin au cœur d’un jardin de 3 hectares. Sont ainsi programmés 140 000 mètres carrés de bureaux répartis dans les plus hautes tours d’Europe, dotées de 48 ascenseurs. La culture n’est pas en reste puisqu’un auditorium de 1 000 places sera également construit. Les moyens de transport n’ont pas été oubliés, même si le métro dessert Carrefour-Pleyel depuis 1952. Beaucoup plus moderne – et dans l’air du temps –, les promoteurs prévoient d’établir, sous une dalle, un parking de 3 000 places. Deux ans à peine après cette publication prometteuse, le contexte a déjà changé. De Gaulle a démissionné et les projets d’urbanisme sont réorientés au profit des villes nouvelles. Le quartier d’affaires pharaonique de Pleyel a fait long feu. Seule une tour est édifiée, inaugurée en 1973, au lieu des quatre prévues. Une construction comme tombée là par hasard qui ne connaîtra pas le succès de ses grandes sœurs de La Défense. Cet ensemble de bureaux, mal situé, est progressivement délaissé alors que la tour, finalement vidée, commence à rouiller.
Et pourtant, le rêve des bâtisseurs des années 60 va bien devenir réalité. Avec ses quatre lignes de métro, 14, 15, 16 et 17, la gare de Pleyel du Grand Paris Express sera en 2030 le nouveau cœur de la région. Les aménageurs, déjà, construisent les immeubles de logements et de bureaux qui seront au pied de cet ensemble de transports exceptionnel. Les entreprises bientôt vont se battre pour s’établir dans ce nouveau quartier appelé à devenir « The place to be ». La tour se refait déjà une nouvelle jeunesse. Et même si Paris Match avait un peu extrapolé, 60 ans plus tard, le rêve du Général sera devenu une réalité.
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