SI L’ÎLE-DE-FRANCE EST DEPUIS LONGTEMPS L’UNE DES RÉGIONS EUROPÉENNES LES PLUS ATTRACTIVES EN MATIÈRE DE RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT, ELLE A, CES DERNIÈRES ANNÉES, RATIONALISÉ SON ORGANISATION, LA RENDANT AINSI PLUS LISIBLE À L’INTERNATIONAL.
PAR CATHERINE BERNARD
La Région représente 18 % de la population française, 31 % du PIB de l’Hexagone mais environ 40 % de la recherche française, qu’il s’agisse du nombre de chercheurs ou des dépenses de R&D : l’Île-de-France est sans conteste le creuset hexagonal de l’innovation. En 2021, plus de 63 % des demandes de brevet françaises adressées à l’Office européen des brevets (OEB) avaient ainsi pour origine la Région Capitale ! Elle était aussi, en 2018, deuxième déposante auprès de l’OEB derrière la Bavière (Allemagne). Et, selon l’Insee, elle reste l’une des cinq régions européennes à consacrer plus de 3 % de son PIB à la R&D. Les investisseurs étrangers ne s’y trompent pas : en 2021, 12 % des investissements internationaux dans la Région concernaient la recherche et le développement, soit 50 projets réalisés, et le nombre d’emplois associés - 1 367 - a progressé de 72 %, selon Choose Paris Region.
L’automobile, premier investisseur en R&D
Mais quels sont les pôles et secteurs principaux de cette recherche ? La recherche est, tout d’abord, et en particulier, le fait d’acteurs privés. La R&D publique représente ainsi 30 % des investissements, le reste venant donc des entreprises. Pour l’Hexagone dans son entier, la proportion est de 35-65. Sectoriellement, cinq branches sont particulièrement intensives en R&D. Il s’agit de l’industrie automobile qui, indique l’Insee, pèse à elle seule 18 % du total des dépenses. L’industrie pharmaceutique arrive en deuxième position (environ 11 % de ces dépenses), suivie par les activités informatiques et de services d’information (10 %), les activités spécialisées, scientifiques et techniques (7,5 %) et la construction aéronautique et spatiale (6,8 %).
Une recherche concentrée à l’ouest et au sud
L’analyse géographique permet de dessiner quelques pôles d’intérêt particuliers, « distincts selon qu’il s’agit de la recherche publique ou de la recherche privée », remarque Odile Soulard, économiste et urbaniste à l’Institut Paris Region. Ainsi, les grandes entreprises préfèrent l’ouest parisien : les Hauts-de-Seine et les Yvelines concentrent à eux seuls la moitié des dépenses de R&D privées, comme celles de PSA ou de Dassault Systèmes. La communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, avec le technocentre de Renault à Guyancourt, en constitue une illustration. « La recherche publique est, quant à elle, plus présente à Paris intra-muros et dans le campus de Paris-Saclay. Elle est également importante à l’est (Marne-la-Vallée), au sud (Évry-Courcouronnes, Villejuif), à l’ouest (Cergy-Pontoise) et dans les franges nord de la Capitale avec le campus Condorcet en pleine construction », poursuit l’experte de l’Institut Paris Region.
Saclay, dans l’Essonne, est, justement, un lieu où les deux mondes se rejoignent de plus en plus. Selon l’Établissement public d’aménagement, le campus regroupe désormais environ 15 % de la recherche publique mais aussi 15 % de la R&D privée en France. Énergie, santé, mobilité, défense, cybersécurité et alimentation sont ses six plus importants domaines de compétence. Longtemps, le lieu a été prisé par la recherche académique. Le CEA et l’École polytechnique sont ainsi présents depuis plusieurs décennies. Mais ils ont été rejoints, entre autres, par l’école des Mines ParisTech, CentraleSupélec, AgroParisTech, l’École normale supérieure de Paris-Saclay (ex-Cachan)… Un grand effort de concentration et de lisibilité a par ailleurs été réalisé : ainsi, l’Université Paris-Saclay – qui représente à elle seule 13 % de la recherche publique française ! – regroupe dorénavant quatre grandes écoles (CentraleSupélec, AgroParisTech, École normale supérieure Paris-Saclay, Institut d’Optique Graduate School) mais aussi l’IHES (Institut des hautes études scientifiques) et des laboratoires partagés avec le CEA, le CNRS, l’IRA, l’INRIA, l’INSERM et l’ONERA. Parallèlement, l’Institut polytechnique regroupe l’École polytechnique, l’ENSTA Paris, l’ENSAE Paris, Télécom Paris et Télécom SudParis. Parallèlement, Saclay a attiré des grands centres de R&D privés. Ici sont présents la recherche de Thales, de Danone, d’EDF, d’Horiba (entreprise japonaise de fabrication d’instruments de mesure et de matériel optique) et, bientôt, de Servier, LVMH, TotalEnergies et, peut-être, Intel. Sans compter les multiples jeunes pousses implantées sur le plateau. En effet, « l’accent a été mis sur la création de structures d’accueil et de transfert comme les incubateurs », note Odile Soulard.
Sense-City, mini-ville intégrée au campus de la Cité Descartes à Champs-sur-Marne.
À l’est, la ville durable est reine
Cet effort de structuration et de lisibilité est également flagrant à la Cité Descartes, dans l’est parisien. Ici, l’université Gustave Eiffel a fédéré l’ex-université de Paris Est Marne-la-Vallée, mais aussi le prestigieux IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux) et plusieurs grandes écoles (l’ESIEE Paris, l’ENSG géomatique, l’École des ingénieurs de la ville de Paris et l’École d’architecture de la ville et des territoires de Paris Est). La Cité compte également des laboratoires publics importants, tels que le CSTB (centre scientifique et technique du bâtiment), le FCBA (centre technique industriel chargé des secteurs de la forêt, du bois-construction et de l’ameublement) et Efficacity, institut de la transition énergétique de la ville. Sans oublier les 545 entreprises - et leurs 7 300 salariés - dont certaines sont accueillies à Maison de l’entreprise innovante, qui héberge, notamment, un incubateur et un fablab. Ici se concentre environ un quart de la recherche française sur le sujet. À proximité de la sortie de la gare du RER A (qui sera bientôt rejointe par la ligne 15 du Grand Paris Express), se trouve du reste l’un des équipements les plus emblématiques du Grand Paris : Sense-City. Il s’agit d’une immense chambre climatique, capable de simuler une large variété de climats et destinée à tester les matériaux, les équipements et les infrastructures de la cité du futur. Et donc d’aider à concevoir les matériaux les plus à même de prévenir le changement climatique et de s’y adapter.
Au sud, le Genopole change d’échelle
Un autre grand lieu de la R&D francilien est en plein changement d’échelle : il s’agit de Genopole, à Évry-Courcouronnes (Essonne). Créé en 1998, le biocluster regroupe 77 entreprises, 18 laboratoires académiques et 25 plateformes technologiques. Spécialisé à l’origine dans la médecine génomique, il accueille également un nombre croissant de start-up actives dans les biotechnologies de l’environnement. Au total, plus de 2 350 personnes y travaillent directement. L’ambition de Genopole est, désormais, de ne plus se cantonner à la recherche pour se lancer dans la bioproduction. Autrement dit, dans la production à grande échelle de médicaments, d’aliments et d’autres innovations mises au point sur place. Pour y parvenir, le cluster se prépare à de gros investissements et revoit sa gouvernance : d’ores et déjà, Stéphane Beaudet, maire d’Évry-Courcouronnes, est président tant du GIP Genopole – qui gère les activités de Genopole – que de la SEM Genopole, la société d’économie mixte qui s’occupe de l’immobilier dédié. Cela doit permettre de mieux harmoniser les stratégies et d’investir en temps et en heure dans un immobilier d’entreprise adapté aux besoins des entreprises du Genopole. Devrait ainsi voir le jour une biofonderie : cette mini-usine permettrait de tester la conception de molécules avant de lancer la production à plus grande échelle. Pour ce faire, une augmentation de capital de 8,394 millions d’euros de la SEM Genopole est en cours afin de porter son capital à 27,445 millions d’ici à 2025. Elle a été souscrite par les principaux actionnaires (le Conseil régional, Grand Paris Sud, la Caisse des Dépôts et le Département) ainsi que par le GIP Genopole, qui rentre ainsi au capital de la SEM.
Quelques chiffres...
128 000
C’est le nombre approximatif de chercheurs, publics et privés, que compte l’Île-de-France.
21 milliards d’euros
C’est le montant approximatif des dépenses de R&D dans la Région Capitale.
3e rang
En 2016, l’Île-de-France arrivait au 3e rang mondial en termes de publications scientifiques selon Elsevier.
« L’enjeu réside désormais dans une meilleure intégration des sciences humaines et sociales dans la recherche dite “dure” »
« L’Île-de-France présente un écosystème très complet en matière de R&D. C’est une force, mais aussi une complexité supplémentaire, car il peut être difficile de mettre en exergue un domaine plus qu’un autre ou de mettre en musique tous ces éléments. Cependant, on peut noter, ces dernières années, une volonté d’articulation très forte des équipes universitaires, notamment pour améliorer leur visibilité au niveau international. Un autre enjeu est celui de la pluridisciplinarité : la recherche n’est pas que technologique et il s’agit de mieux intégrer les sciences humaines et sociales aux technologies. Enfin, l’attractivité internationale de la Région en matière de R&D dépend des conditions d’accueil très concrètes qu’elle peut proposer aux doctorants et chercheurs étrangers. De grands efforts ont été faits qu’il convient de poursuivre. »
ODILE SOULARD, ÉCONOMISTE ET URBANISTE À L’INSTITUT PARIS REGION.
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